Éditorial de la lettre bimensuelle n°108

Il fal­lait s’y atten­dre, la déc­la­ra­tion de poli­tique générale de François Bay­rou, mar­di à l’Assemblée nationale, puis celle dite « du gou­verne­ment », mer­cre­di au Sénat, ont été brouil­lonnes, insipi­des et n’ont pas fixé le cap dont la France a besoin. On ne peut qu’approuver les volon­tés exprimées sur la dette, sur l’éducation et glob­ale­ment sur la plu­part des sujets évo­qués. Mais con­crète­ment, que fait-on pour redress­er la barre ? Quels sont les objec­tifs et le cal­en­dri­er ? Dans cette tra­di­tion répub­li­caine où le nou­veau Pre­mier min­istre engage la respon­s­abil­ité de son gou­verne­ment, l’esprit doit être la sincérité et la déter­mi­na­tion qui inspirent la con­fi­ance, et l’objet, des mesures majeures que le gou­verne­ment s’engage à adopter. C’est ce qui a fait cru­elle­ment défaut dans les inter­ven­tions en tri­bune du chef du gou­verne­ment lors de cette semaine déci­sive.

Il n’est point néces­saire de s’élever pour éprou­ver le ver­tige car, en réal­ité, l’exercice est celui d’un équilib­riste : aller dans le sens de la gauche, mais pas trop afin de ne pas bra­quer la droite ; aller dans le sens de la droite sans heurter la gauche ; don­ner des garanties au RN, notam­ment sur le scrutin à la pro­por­tion­nelle, pour pass­er les deux étapes de la déc­la­ra­tion puis du bud­get.

Pau­vre France ! peut-on se lamenter, car de tout ceci il ne résul­tera que de l’eau tiède, des demi-mesures qui ne nous per­me­t­tront pas de retrou­ver l’allant néces­saire. Quant à la pro­por­tion­nelle, elle avait été instau­rée en 1986 par François Mit­ter­rand pour faire mon­ter le Front nation­al de Jean-Marie Le Pen au détri­ment de la droite, puis aban­don­née en 1988 parce que inca­pable de fournir des majorités claires. Elle pro­duira exacte­ment les mêmes effets. Elle sys­té­ma­tis­era l’instabilité alors que, selon les pre­miers mots de François Bay­rou au Palais-Bour­bon, la France a besoin de retrou­ver de la sta­bil­ité. Il est vrai que Mon­sieur Bay­rou n’est pas à un para­doxe près.

Toute­fois, compte tenu de l’actuelle fragilité poli­tique, on ne peut tir­er sur l’ambulance et il faut recon­naître que l’affirmation de réformes énergiques aurait con­duit à une nou­velle motion de cen­sure et plongé le pays dans une crise plus grave encore. Or, nous avons besoin d’un bud­get. Mieux vaut un bud­get per­fectible que pas de bud­get du tout.

S’il s’agit de cor­riger des impen­sés de la réforme de sep­tem­bre 2023 sur les retraites, je ne suis pas en désac­cord avec la réou­ver­ture du dossier. Depuis sa pro­mul­ga­tion, des amélio­ra­tions pos­si­bles ont été pointées sur la péni­bil­ité, l’emploi des seniors ou la car­rière des femmes notam­ment. Mais notre démoc­ra­tie est-elle suff­isam­ment mature pour ouvrir un débat aus­si sen­si­ble sans que cer­tains cherchent à ren­vers­er la table ? J’en doute. On l’a dit sou­vent, la réforme des retraites est la mère de toutes les autres tant l’enjeu social et financier est prég­nant. Cela a d’ailleurs été très bien rap­pelé mar­di. La moitié de l’endettement accu­mulé lors des dix dernières années est la con­séquence du déficit du régime des retraites par répar­ti­tion. Il représente la somme astronomique de 500 mil­liards d’euros. Définie comme un prob­lème d’abord moral, par la trans­mis­sion aux généra­tions futures et la diminu­tion des capac­ités de finance­ments qui en résul­tera, la dette est cor­rélée de façon évi­dente à l’incidence budgé­taire des retraites et à la réforme de l’État.

Mais c’est un autre cat­a­logue de bonnes inten­tions que dresse la réforme annon­cée de l’État. Tou­jours promise et jamais réal­isée, la sta­bil­ité poli­tique ne doit-elle pas être le préal­able à toute ten­ta­tive d’évolution ? En cela, l’expression de la néces­saire réc­on­cil­i­a­tion des Français avec le pou­voir poli­tique est une vérité. La tâche sera ardue, car il s’agit de sim­pli­fi­er, de ren­dre du pou­voir au ter­rain (aux col­lec­tiv­ités locales), de décon­cen­tr­er les ser­vices de l’État et enfin de procéder à une sélec­tion rigoureuse dans les innom­brables agences qui œuvrent plus ou moins effi­cace­ment pour le compte de l’État. Il y en aurait plus de mille, bien ou peu con­trôlées, sou­vent en dou­blon et la plu­part en alour­dis­sant les procé­dures. Je ne con­teste pas que plusieurs d’entre elles peu­vent être utiles et réalis­er un tra­vail remar­quable, mais elles sont pro­duc­tri­ces de normes et de régle­men­ta­tions, déten­tri­ces d’un pou­voir dont par­fois elles abusent. D’autres, nom­breuses, con­stituent un frein à l’inventivité et au développe­ment. Faire le tri avec pour objec­tif de réduire la charge budgé­taire, de lever des entrav­es et de libér­er les éner­gies demeure un Ever­est admin­is­tratif à gravir.

En réal­ité, il ne s’agit pas tant d’une mon­tagne, mais d’une chaîne, d’une cordil­lère de com­plex­ités, dossier après dossier, aux­quelles le Pre­mier min­istre et son gou­verne­ment vont devoir s’atteler. François Bay­rou en aura-t-il la pos­si­bil­ité ou même seule­ment la volon­té ? Il lui fau­dra beau­coup de ténac­ité et de prag­ma­tisme. Qual­ités dont notre par­leur n’a pas tou­jours fait preuve. Tels que le con­tem­ple Le voyageur au-dessus de la mer de nuages dans le tableau de Cas­pard David Friedrich, chef‑d’œuvre du roman­tisme alle­mand du XIXe siè­cle, l’horizon est loin­tain et le voy­age bien incer­tain.

Hugues Saury

Olivet, le 19 jan­vi­er 2025