« L’histoire innove, dérive, titube. Elle change de rail, se déroute : le contre-courant suscité par un courant se mêle au courant, et, le déroutant, devient courant » Edgar Morin — « Pour entrer dans le XXIème siècle »
Quoi de plus vrai que cette citation qui illustre l’humeur changeante de l’être humain… et par voie de conséquence le désordre politique auquel nous devons faire face.
Les alliances de circonstance et la peur d’assumer une ligne claire empêchent toute réforme durable. La droite, pourtant porteuse d’une tradition de responsabilité et de rigueur, peine à incarner ce cap de vérité, paralysée entre la crainte de diviser et la tentation du compromis permanent. Ce manque de cohérence n’est pas seulement une question de stratégie : il mine la confiance du pays et alimente la lassitude démocratique. Le courage politique n’est pas dans le vacarme, il réside dans la constance. Or, l’instabilité actuelle érode cette vertu essentielle : celle qui consiste à choisir, à tenir et à gouverner au nom du bien commun plutôt qu’à gérer au rythme des émotions.
Si le Sénat débute ses auditions budgétaires, l’Assemblée nationale plonge à corps perdu dans ses désormais habituels débats stériles où le jeu consiste à réclamer toujours plus et à le faire avec un maximum de bruit.
Or si la France a besoin d’une voix forte, ce n’est pas celle du désordre à finalité démagogique : il ne suffit plus d’affirmer notre indépendance, il faut la construire, en protégeant nos ressources, nos industries, nos savoir-faire. Pourtant, face à ce diagnostic lucide, les décisions demeurent timides. Les discours sur la “réindustrialisation” masquent souvent l’absence de volonté réelle de rompre avec des années de désarmement économique. Ce manque de courage politique se paie cher : perte d’autonomie, dépendance technologique, recul de l’innovation. Il traduit une incapacité à penser l’économie comme un enjeu de puissance et de sécurité nationale. Le jour où nous aurons le courage d’assumer que produire, c’est défendre, alors, seulement, nous pourrons prétendre à la souveraineté que nous invoquons si souvent sans la servir vraiment.
Car la situation économique et financière de notre pays ne s’améliore pas. Les derniers chiffres de la Banque de France confirment une croissance atone, une inflation qui s’installe dans les dépenses publiques, et une dette qui tutoie les 3 200 milliards d’euros. Les marges des entreprises se contractent, les défaillances repartent à la hausse (+36 % en un an), et les collectivités voient fondre leur capacité d’investissement sous le poids de la hausse des coûts d’intervention… La réalité impose un changement de cap. Cela ne signifie pas moins de politique, mais plus de responsabilité. Il ne s’agit pas d’austérité, mais de lucidité : produire mieux, investir utile, dépenser juste. Car on ne protège pas un pays en lui mentant sur ses comptes.
La France a laissé se déliter les piliers de sa puissance. La dépendance énergétique, la perte d’autonomie industrielle, la vulnérabilité numérique et la désorganisation de nos chaînes d’approvisionnement forment un même symptôme : celui d’un pays qui a cessé de penser sa sécurité économique comme un enjeu stratégique. Il est vital de remettre l’État au cœur des décisions économiques, en créant de vrais outils de protection et d’anticipation, et en soutenant les entreprises qui font vivre nos territoires au lieu de les noyer sous la norme. Car la guerre économique n’est plus une métaphore : elle se joue chaque jour dans nos ports, nos usines, nos PME. Si nous n’y répondons pas par une stratégie claire et une volonté ferme, d’autres le feront à notre place… il n’y a qu’à observer les manœuvres toutes récentes des Etats-Unis et de la Chine.
Nos territoires, eux, l’ont compris depuis longtemps. Quand l’État promet, les élus agissent. Quand les recettes manquent, ils innovent, mutualisent, adaptent. Ce courage silencieux, celui du terrain, est peut-être le dernier rempart contre la résignation nationale. Dans les communes, les intercommunalités, les départements, se construit encore une France qui croit à la valeur du travail, à la responsabilité et à la proximité. C’est là que se tient, au quotidien, le vrai redressement.
L’Europe, enfin, n’échappe pas à ce constat. Trop lente, trop technique, trop prudente, trop divisée, elle semble paralysée entre le respect de règles budgétaires dépassées et la peur d’affirmer une puissance économique et stratégique. Or elle n’a pas été bâtie pour administrer, mais pour agir. Si elle ne retrouve pas une ambition industrielle et technologique, elle deviendra un musée ouvert sur un monde qui avance sans elle.
Le rapport Draghi[1] a le mérite de poser un diagnostic sans détour : l’Union européenne vit au-dessus de ses moyens. Elle a cru que la paix, la croissance et l’énergie bon marché étaient des acquis éternels. Or, la compétition mondiale s’intensifie : les États-Unis investissent massivement dans l’industrie verte, la Chine avance sur les technologies stratégiques, et l’Europe tergiverse. Le rapport appelle à un sursaut collectif : investir dans l’énergie, la recherche, la défense, et surtout retrouver une capacité à produire, à innover et à décider par nous-mêmes. Face à des puissances mondiales qui ne visent que leur intérêt, l’Europe doit aussi savoir protéger les siens et prendre les dispositions en conséquence.
Nous vivons la fin d’un cycle. Celui où l’on pensait que la dette remplaçait le travail, que la dépense compensait le manque de production, et que l’on pouvait promettre sans compter. Le moment est venu de dire les choses telles qu’elles sont : notre pays n’a pas besoin de plus de promesses, mais de plus de courage !
Celui de sortir du « quoi qu’il en coûte », de ne pas revenir sur une réforme des retraites nécessaire dans un pays où l’on pratique les 35h, vit plus vieux et en faisant moins d’enfants. Celui qui consiste aussi à lutter contre la fraude fiscale et sociale tout en régulant l’action de cette dernière, très expansionniste depuis quelques décennies…
Bref, nous avons de quoi occuper nos journées et nos nuits dans les semaines à venir… à condition que la démarche budgétaire aille à son terme au sein d’une Assemblée nationale, plus préoccupée de communication et d’effets de manche que de l’intérêt du pays.
Il est vrai qu’adeptes de ce sport national qu’est devenue la menace de censure, ces parlementaires font preuve d’un étrange masochisme car la dissolution qui s’ensuivrait serait fatale à beaucoup d’entre eux, illustrant, ainsi, le célèbre aphorisme de Bossuet :
Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.
Pauline Martin
4 novembre 2025
[1] Ce rapport sur le futur de la compétitivité de l’Europe a été commandé par la Commission européenne à Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), à l’automne 2023.

