Éditorial de la lettre bimensuelle n°114

Les paroles et les actes

Depuis quelques jours, la scène poli­tique française est sec­ouée par la con­damna­tion de Marine Le Pen, prési­dente du Rassem­ble­ment nation­al (RN), à qua­tre ans de prison, dont deux avec sur­sis, assor­tis de cinq ans d’inéligibilité avec exé­cu­tion pro­vi­soire, pour détourne­ment de fonds publics.

Cette déci­sion judi­ci­aire en pre­mière instance, ren­due le 31 mars 2025, a déclenché une série de réac­tions et de man­i­fes­ta­tions, notam­ment de la part des par­ti­sans du RN qui dénon­cent une instru­men­tal­i­sa­tion poli­tique de la jus­tice. Madame Le Pen et ses sou­tiens ont vive­ment cri­tiqué le ver­dict, qual­i­fi­ant la procé­dure de « scan­dale démoc­ra­tique » orchestré par des « juges rouges ».

Cette rhé­torique, visant à dis­créditer l’institution judi­ci­aire, soulève des ques­tions sur la cohérence entre les déc­la­ra­tions antérieures du FN/RN, qui prô­naient le respect de l’État de droit, et leur refus actuel d’accepter une déci­sion de jus­tice défa­vor­able. Rap­pelons que les faits reprochés remon­tent à la péri­ode entre 2004 et 2016, alors que Marine Le Pen déclarait en 2013 : « Quand allons-nous met­tre en place l’inéligibilité à vie pour tous ceux qui ont été con­damnés pour des faits com­mis à l’occasion de leur man­dat ? »

En réponse à la con­damna­tion, le RN a organ­isé un rassem­ble­ment à Paris pour soutenir sa leader et con­tester la déci­sion de jus­tice. Les con­séquences ne sont pas neu­tres. Dans cette affaire de détourne­ment d’argent pub­lic, celui de l’Union européenne, de plus de 4 mil­lions d’euros au prof­it du par­ti pour lequel tra­vail­laient de pseu­do-assis­tants par­lemen­taires, il faut être d’une absolue mau­vaise foi pour nier la mal­hon­nêteté.

Cette atti­tude réduit à peu de choses la ten­ta­tive de respectabil­ité de ce par­ti qui mon­tre son inca­pac­ité à observ­er la règle répub­li­caine. Par ailleurs, inciter les électeurs à con­tester dans la rue la sanc­tion des juges, cela revient à éroder leur con­fi­ance dans le sys­tème judi­ci­aire. C’est la fin déclarée et assumée de l’État de droit et la porte ouverte à toutes les dérives. L’État de droit, ce con­cept pra­tique que l’on applau­dit à la tri­bune… et que l’on con­teste au tri­bunal.

Au même moment, sur la scène inter­na­tionale, le prési­dent améri­cain Don­ald Trump, dans un show médi­a­tique dont il est adepte, annonçait une série d’augmentations des droits de douane visant tous ses parte­naires com­mer­ci­aux et notam­ment les plus impor­tants, tels que la Chine, le Cana­da, le Mex­ique, le Japon ou encore les pays de l’Union européenne.

Ces mesures pro­tec­tion­nistes, jus­ti­fiées par des cal­culs far­felus, pour­suiv­raient ain­si le dou­ble objec­tif de s’opposer à la Chine et de réduire le déficit com­mer­cial améri­cain, pour per­me­t­tre la réin­dus­tri­al­i­sa­tion du pays. Dans les faits, elles n’ont provo­qué qu’une escalade des ten­sions com­mer­ciales et une chute impor­tante des bours­es mon­di­ales.

Celui qui se veut être l’incarnation d’une Amérique toute-puis­sante a vite été rat­trapé par ceux qui, en réal­ité, déti­en­nent le pou­voir : les créanciers du pays. Il n’a fal­lu que quelques heures pour que le taux de la dette publique améri­caine à 10 ans passe de 4 à 4,5% après un pic à 4,9%. C’est parce que la dette fédérale est estimée à env­i­ron 35 000 mil­liards de dol­lars, soit plus de 120% du PIB, que les États-Unis ne peu­vent se per­me­t­tre de per­dre la con­fi­ance des marchés.

Il est égale­ment notable que Don­ald Trump, tout en prô­nant des mesures pro­tec­tion­nistes, a recon­nu que sa poli­tique tar­i­faire pour­rait entraîn­er des « prob­lèmes de tran­si­tion » pour l’économie améri­caine. Admet­tre main­tenant de pos­si­bles per­tur­ba­tions con­traste avec ses déc­la­ra­tions antérieures assur­ant que de telles mesures seraient sans con­séquences néga­tives. L’incohérence du dis­cours prési­den­tiel accroît l’incertitude sur la scène économique inter­na­tionale et pré­cip­it­era la fin de très nom­breuses entre­pris­es à tra­vers le monde.

La con­jonc­ture actuelle met en lumière les ten­sions entre les déc­la­ra­tions poli­tiques et les actions con­crètes, tant sur le plan nation­al qu’international. Ain­si, il est intéres­sant, et inquié­tant, de met­tre en par­al­lèle le dis­cours du RN et celui de leur ami, devenu gênant, prési­dent des États-Unis. En France, les réac­tions que sus­cite la con­damna­tion de Marine Le Pen inter­ro­gent sur la cohérence du dis­cours poli­tique face aux principes de l’État de droit. À l’échelle inter­na­tionale, les déci­sions com­mer­ciales des États-Unis sous la prési­dence de Don­ald Trump, imprévis­i­ble, iras­ci­ble, prêt à s’affranchir de toutes les règles, rap­pel­lent l’importance de la sta­bil­ité et de la prévis­i­bil­ité dans les rela­tions économiques mon­di­ales.

Quand la loi devient gênante, elle est soudain injuste. Le Pen comme Trump l’invoquent quand elle les absout, l’écrasent quand elle les con­traint… Le Pen et Trump, ou l’art de se plac­er de façon provo­ca­trice au-dessus des règles qu’ils pré­ten­dent défendre. Dans un cas comme dans l’autre, on voit que la parole des pop­ulistes ne résiste pas à la réal­ité des faits. Dans ce con­texte, il est essen­tiel pour les acteurs poli­tiques de priv­ilégi­er la cohérence et le respect des insti­tu­tions afin de préserv­er la con­fi­ance publique et la sta­bil­ité inter­na­tionale.

Hugues Saury, 15 avril 2025