Mémoire, responsabilité, avenir

Le 13 novem­bre 2025, dix ans après les atten­tats du Bat­a­clan, du Stade de France et des ter­rass­es parisi­ennes, nous hon­o­ri­ons la mémoire des 132 vic­times et des cen­taines de blessés dont les vies ont été à jamais mar­quées par la bar­barie ter­ror­iste. Une bar­barie qui a blessé notre pays dans sa chair, mais aus­si dans son âme. « La douleur demeure », a rap­pelé le prési­dent de la République. Oui, la douleur demeure, mais la résilience aus­si. Ces com­mé­mora­tions sont l’occasion de réaf­firmer notre unité face à l’obscurantisme, notre attache­ment aux valeurs de lib­erté, d’égalité et de fra­ter­nité. Elles nous rap­pel­lent égale­ment que la lutte con­tre le ter­ror­isme ne doit jamais faib­lir, car la men­ace, si elle a changé de vis­age, n’a pas dis­paru. Cette mémoire col­lec­tive fonde notre vig­i­lance et notre déter­mi­na­tion à pro­téger la République, nos conci­toyens et notre mod­èle de société.

Pour­tant, alors que ce recueille­ment le rassem­ble, notre pays est sec­oué par d’autres débats, d’une moin­dre grav­ité certes, mais cru­ci­aux aus­si pour son avenir. La sus­pen­sion de la réforme des retraites adop­tée à l’Assemblée nationale le 12 novem­bre est une déci­sion grave, irre­spon­s­able, et pro­fondé­ment injuste pour les jeunes généra­tions. Elle ne change rien aux fon­da­men­taux : le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion, l’allongement de la durée de vie, la néces­sité de financer des pen­sions dignes. Les Répub­li­cains, avec Bruno Retail­leau, l’ont dit sans détour : elle est une « capit­u­la­tion », un renon­ce­ment à notre devoir de respon­s­abil­ité. Les pro­jec­tions mon­trent que, d’ici à 2030, le déséquili­bre entre act­ifs et retraités (seule­ment 1,8 act­if cotise pour 1 retraité, con­tre 4,69 act­ifs en 1960*) attein­dra un niveau insouten­able, met­tant en péril l’équilibre de nos comptes publics (les retraites représen­tent un quart de la dépense publique*) et, in fine, la sol­i­dar­ité intergénéra­tionnelle. Les jeunes, déjà con­fron­tés à un marché du tra­vail incer­tain et à des défis économiques sans précé­dent, paieront demain la fac­ture de notre lâcheté d’aujourd’hui, qui risque aus­si de les priv­er des ressources essen­tielles pour l’éducation, la tran­si­tion écologique ou l’innovation. Cette mesure est une dan­gereuse fuite en avant qui fera de la réforme des retraites le sujet cen­tral de la prochaine élec­tion prési­den­tielle. Elle con­train­dra l’élu, quel qu’il soit, à pren­dre dès le début de son man­dat des mesures plus dif­fi­ciles encore. Les con­séquences sur l’équilibre des insti­tu­tions et les frac­tures sociales en seront aggravées. Elle réduira les pos­si­bil­ités d’engager les chantiers des réformes struc­turelles dont notre pays a tant besoin. Cette ques­tion des retraites illus­tre, par ailleurs, un para­doxe cru­el : alors que nous par­lons sans cesse de jus­tice sociale, nous accep­tons de creuser les iné­gal­ités entre généra­tions. Or, la jus­tice sociale ne se lim­ite pas à la redis­tri­b­u­tion immé­di­ate ; elle mesure aus­si notre capac­ité à trans­met­tre un pays sol­idaire et prospère.

C’est ce même enjeu qui se pose à Belém, où se tient actuelle­ment la COP30. Les rap­ports sci­en­tifiques sont unanimes : si nous ne réduisons pas dras­tique­ment nos émis­sions de gaz à effet de serre, les con­séquences seront irréversibles. Face à l’insuffisance des engage­ments pris lors des COP précé­dentes, la COP30 doit être un tour­nant. La tran­si­tion écologique n’est pas une con­trainte, mais une oppor­tu­nité qui peut être saisie : celle de mod­erniser l’économie, de trans­former des emplois, de ren­forcer l’indépendance énergé­tique. En tant qu’élu d’un départe­ment à la fois urbain et rur­al, je sais que cette tran­si­tion doit être juste et accom­pa­g­née. Elle ne peut se faire au détri­ment de nos agricul­teurs, de nos arti­sans, des ruraux. Mais elle est indis­pens­able. La France, avec son mix énergé­tique décar­boné et son exper­tise agri­cole, a les atouts pour être leader en Europe. À l’échelle mon­di­ale, seule per­ti­nente sur ce sujet, force est de con­stater que les déci­sions poli­tiques peinent à suiv­re le rythme de l’urgence. L’enjeu est, là encore, l’avenir des jeunes généra­tions et de la planète que nous leur lais­serons en partage.

Ces trois actu­al­ités – la com­mé­mora­tion du 13-Novem­bre, la réforme des retraites, la COP30 – dessi­nent un même défi : celui de con­cili­er mémoire, respon­s­abil­ité et pro­jet. Se sou­venir, c’est hon­or­er ceux qui nous ont précédés et tir­er les leçons du passé. Assumer nos respon­s­abil­ités, c’est pren­dre des déci­sions courageuses, même impop­u­laires, pour préserv­er l’équilibre de notre société. Con­stru­ire l’avenir, c’est inve­stir dans l’éducation, l’innovation et la tran­si­tion écologique, pour que chaque généra­tion s’épanouisse et pré­pare à son tour l’avenir.

En ces temps de divi­sions et de court-ter­misme, soyons réal­istes. Défendons un pro­jet de société qui ne sac­ri­fie ni notre mémoire ni notre avenir. C’est le sens que doit avoir l’action publique en ce début du XXIe siè­cle. La France mérite mieux que des renon­ce­ments : elle mérite une vision, une ambi­tion, du courage. Pour les vic­times de toutes les formes de vio­lence, pour les act­ifs qui s’inquiètent de leur retraite et les jeunes qui man­i­fes­tent pour leur planète, pour tous ceux qui espèrent en l’avenir de la France, soyons respon­s­ables et agis­sons.

Hugues Saury

Olivet, le 15 novem­bre 2025

* Chiffres con­solidés de 2023. Sources : Insee, Drees, Euro­stat.